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L’engrenage de la situation sécuritaire
La menace de la violence perpétrée par des groupes islamistes militants au Mali continue de s’intensifier et de prendre de l’ampleur. L’exclusion durable des autres acteurs politiques nationaux par la junte et l’aliénation des partenaires sécuritaires à la fois régionaux et internationaux, rend la perspective de l’effondrement du Mali de plus en plus probable.
- Le Mali est en passe de subir plus de 1 000 événements violents impliquant des groupes islamistes militants en 2023, ce qui éclipserait les niveaux de violence record de l’année dernière et représenterait une multiplication par presque trois par rapport au moment où la junte a pris le pouvoir en 2020.
- Environ 6 150 km2 du territoire malien ont été atteints par la violence islamiste militante au cours des six premiers mois de 2023, contre 5 200 km2 au cours des six mois précédents (soit une augmentation de 18 %).
- Une grande partie du nord du pays est tombée sous la domination de fait de groupes islamistes militants.
- Au cours du premier semestre 2023, 16 épisodes de violence islamiste militante se sont produits dans un rayon de 150 km autour de Bamako. En comparaison, seuls cinq événements s’étaient produits au cours des six mois précédents.
- Les actes de violence commis par des groupes islamistes militants à l’encontre de civils ont été presque cinq fois plus fréquents au cours des douze derniers mois qu’au cours de l’année précédant l’arrivée au pouvoir de la junte.
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Une junte militaire axée sur son maintien au pouvoir
La junte, qui a ignoré à plusieurs reprises les calendriers de transition vers une autorité civile légitime, s’est systématiquement aliéné les partenaires de sécurité des États voisins, de la CÉDÉAO, de la France, de l’Union européenne et des Nations unies. Elle a effectivement cédé le contrôle territorial de la région nord du Mali aux groupes islamistes militants, attisant les tensions avec les groupes touaregs qui coopéraient avec le gouvernement pour les combattre. Alors que le Mali vacille sous la pression de l’engrenage de la menace sécuritaire, la junte semble s’attacher à consolider son emprise sur le pouvoir.
- La demande incongrue de la junte du retrait immédiat de la mission de maintien de la paix et de stabilisation des Nations unies (MINUSMA), forte de 15 000 hommes, alors même que les attaques perpétrées par des combattants islamistes s’intensifient expose les communautés du nord et du centre du Mali à un risque accru de violence, et met en péril les deux tiers du pays.
- Le référendum constitutionnel organisé par la junte le 18 juin, afin de s’octroyer une amnistie pour son coup d’État et de prolonger son mandat, a été largement considéré comme ne répondant pas aux normes fondamentales d’équité et de crédibilité. Même selon le décompte de la junte, seuls 39 % des électeurs éligibles ont voté. Certaines régions, dont Kidal, n’ont pas organisé de référendum du tout, mettant en cause sa validité.
- L’abandon et la privation des droits des communautés du nord du Mali ont conduit les groupes touaregs à renouveler leurs appels à l’indépendance vis-à-vis de Bamako. Cela représenterait une rupture complète du fragile accord de paix d’Alger signé en 2015.
« La junte a ignoré à plusieurs reprises les calendriers de transition vers une autorité civile légitime. »
- La junte a eu recours à la peur, au harcèlement et à l’intimidation pour restreindre l’espace civique et la liberté de la presse, créant un climat dans lequel « les citoyens évitent de s’exprimer sur la politique ou la sécurité » et « les utilisateurs maliens des réseaux sociaux n’osent plus exprimer une opinion qui contredirait la propagande officielle ».
- La junte malienne a mené à plusieurs reprises des campagnes de désinformation coordonnées pour susciter des attitudes positives à l’égard des forces Wagner et du soutien russe, tout en rejetant la responsabilité de la détérioration de la situation sécuritaire sur les forces statutaires internationales.
Imbriquée avec Wagner
Le coup d’État au Mali a été largement considéré comme favorisé par la Russie, la junte ayant toujours entretenu des liens étroits avec Moscou. Bien que cela n’ait jamais été ouvertement reconnu, la junte avait négocié en décembre 2021 le déploiement au Mali d’environ 1 000 membres des forces paramilitaires russes de Wagner. L’accord régissant ce déploiement, d’une valeur de 10,9 millions de dollars par mois, permet également à Wagner d’avoir accès aux mines d’or maliennes. La sécurité n’a fait qu’empirer depuis.
- Depuis 2021, les violences commises par les groupes islamistes militants à l’encontre des civils ont augmenté de 278 %, faisant au moins 1 632 victimes.
- Les violences à l’encontre des civils représentent près des deux tiers des événements signalés et près des trois quarts des décès impliquant les forces Wagner.
- Wagner, agissant avec les forces militaires maliennes, a été impliqué par les Nations unies dans plus de 320 incidents de violations des droits humains au Mali, y compris un massacre présumé à Moura (centre du Mali) au cours duquel 500 civils maliens ont été tués.
- La plupart des événements violents impliquant Wagner se sont produits dans le centre du Mali.
- Wagner a également créé deux sociétés minières et détient des parts dans au moins trois sites d’exploitation aurifère artisanale au sud de Bamako, tout en renforçant sa capacité à assurer le trafic de ce métal précieux via Dubaï.
La détérioration de la sécurité au Mali se manifeste de manière distincte dans les régions du nord, du centre et du sud du pays.
Nord du Mali (régions de Gao, Kidal, Menaka, Taoudenit et Tombouctou)
La junte a cédé son autorité sur des parties importantes du nord du Mali, ne menant qu’occasionnellement des frappes aériennes ou des missions de reconnaissance. Au cours de l’année écoulée, les restrictions croissantes imposées par la junte aux mouvements des forces de la MINUSMA, largement considérées comme un moyen de réduire la surveillance de la junte et des violations des droits humains commises par Wagner, ont considérablement entravé l’efficacité de l’ONU. Le nord du Mali est ensuite devenu un champ de bataille entre des groupes islamistes militants rivaux qui se disputent des territoires auparavant patrouillés par les forces de maintien de la paix de l’ONU. Plusieurs régions sont désormais, de fait, sous le contrôle de groupes islamistes militants qui y exercent une justice brutale, notamment en procédant à des exécutions et à des amputations.
- Après avoir été considérablement dégradé dans le nord du Mali par les forces de Barkhane et de la MINUSMA en 2021, l’État islamique au grand Sahara (EIGS) a comblé le vide causé par la mise à l’écart par la junte de ces forces internationales.
- La résurgence de l’EIGS lui a permis de prendre le contrôle d’importantes parties de la région de Ménaka ainsi que d’un certain nombre de villes après avoir combattu la coalition de groupes islamistes militants Jama’at Nusrat al Islam wal Muslimeen (JNIM) dans cette région.
- Les combattants de l’EIGS et du JNIM continuent de s’affronter dans les régions de Gao et de Tombouctou.
Les pressions exercées par la junte pour forcer le départ de la MINUSMA ont conduit le nord du Mali au bord d’une nouvelle guerre civile dans la région. La mission de maintien de la paix des Nations unies servait de garant à l’accord d’Alger entre le gouvernement malien et les groupes séparatistes du Nord. Son départ a été qualifié de « coup fatal » à l’accord de paix par les dirigeants des communautés du Nord. Entre-temps, la MINUSMA avait assuré la sécurité de base de la ville de Menaka. Son départ du centre urbain de Menaka constituerait une grave victoire symbolique et matérielle pour l’EIGS, qui menacerait la sécurité des citoyens maliens dans tout le nord du pays.
Centre du Mali (régions de Mopti et de Ségou)
La violence des groupes islamistes militants reste concentrée dans les régions de Mopti et de Ségou, au centre du Mali. Les opérations menées par la junte et les forces Wagner ont attisé l’insurrection dans cette région en ciblant les civils. Le Front de libération du Macina (FLM), le groupe islamiste militant le plus actif au Mali, semble s’être enhardi. Il a organisé des attaques de plus en plus complexes contre des infrastructures essentielles, comme l’aérodrome de Sévaré, et contre les positions de Wagner et des forces armées maliennes. Le FLM s’est également enfoncé dans le sud du Mali. Le FLM a tiré parti des violations des droits humains commises par la junte et par Wagner, ainsi que des violences commises à l’encontre des civils, pour mobiliser le recrutement.
- 55 % des événements violents liés à des groupes islamistes militants au Mali au cours des 12 derniers mois ont eu lieu dans les régions de Mopti ou de Ségou.
- Environ 4 événements sur 5 impliquant des mercenaires de Wagner dans le centre du Mali au cours du premier semestre 2023 sont classés comme des violences contre les civils.
- Sans la présence de la MINUSMA dans les centres urbains de Mopti et Douentza au centre du Mali, il est probable que la situation sécuritaire se dégrade davantage.
Sud du Mali (régions de Bamako, Kayes, Koulikoro et Sikasso)
La violence islamiste militante s’est étendue à des régions auparavant calmes du Mali . Les combattants du FLM ont organisé des embuscades et des attaques complexes contre les forces militaires et de sécurité dans tout le sud du Mali, faisant preuve d’une portée et d’une coordination précédemment plus typiques de leurs activités dans le centre et le nord du pays. Les attaques près des frontières sud-ouest du Mali avec le Sénégal et la Mauritanie, dans la région de Kayes, avaient été rares au cours de la dernière décennie. Au cours des 12 derniers mois, cette situation a commencé à changer.
- Le sud du Mali a connu une augmentation de 50 % de l’activité des groupes islamistes militants au cours de l’année écoulée.
- Bamako est de plus en plus menacée. Plus d’attaques dans un rayon de 150 km autour de Bamako se sont produites au cours du premier semestre 2023 qu’au cours de n’importe quelle précédente période de 12 mois.
- À Kayes, région historiquement la moins touchée par la violence islamiste militante, l’activité des groupes islamistes militants a triplé au cours de cette période.
Ressources complémentaires
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Traquer l’ingérence russe pour saper la démocratie en Afrique », Infographie, 10 juillet 2023.
- Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, « Rapport sur les événements à Moura, du 27 au 31 mars 2022 » , Fact-finding Report, mai 2023.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « La junte militaire malienne saborde ses partenariats sécuritaires, malgré la déferlante de la violence des militants »,Infographie, 1 mars 2023.
- Sadibou Marong, « Dans la peau d’un journaliste au Sahel », Rapport spécial, Reporters sans frontières (RSF), 2023.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Cinq zones de violence des groupes islamistes militants au Sahel », Infographie, 30 septembre 2022.
- Ladd Serwatt, Héni Nsaibia, Vincenzo Carbone et Timothy Lay, « Wagner Group Operations in Africa : Civilian Targeting Trends in the Central African Republic and Mali », Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), août 2022.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « L’insurrection islamiste aux portes de Bamako », Infographie, 30 août 2022.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Cartographie de la désinformation en Afrique », Infographie, 13 mai 2022.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Réfuter les déclarations de la junte malienne », Infographie, 18 avril 2022.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Au Mali, la gouvernance militaire en héritage », Éclairage, 29 septembre 2020.
- Modibo Ghaly Cissé, « Comprendre les perspectives peules sur la crise au Sahel », Éclairage, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 24 avril 2020.